Association Les Amis de l'Hôtel de Brienne

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Histoires de famille

Louis-Napoléon naît le 20 avril 1808. A cette date, les réussites du Premier Empereur sont encore époustouflantes et le mariage de ses parents déjà déliquescent. Hortense, fille de Joséphine, et Louis, frère de Napoléon, n’auraient jamais convolés sans l’insistance de l’impératrice, convaincue que cette union sert ses intérêts, et l’ordre donné par Napoléon. La cérémonie a lieu le 4 janvier 1802 au palais des Tuileries. Hortense, dix-huit ans, blonde aux yeux bleus, sensible et intelligente, n’éprouve que « de la répulsion » pour celui qu’on lui impose. Louis, souvent décrit comme neurasthénique, est bel homme, mais à 25 ans, il est marqué par une maladie vénérienne mal soignée et des rhumatismes qui vont le rendre infirme. 

Un premier enfant naît le 10 octobre de la même année, Charles-Napoléon, que Napoléon veut adopter pour en faire son héritier et éviter de se séparer de Joséphine ; dessein auquel Louis s’oppose violemment. Puis vient Napoléon-Louis, le 11 octobre 1804.

Soupçons paternels

La victoire d’Austerlitz, en décembre 1805, marque le début de la constitution du Grand Empire. Pour assoir sa domination sur l’Europe, Napoléon installe ses frères et sœurs sur les trônes des pays conquis. Pour Louis et Hortense, ce sera la Hollande, qu’ils doivent rejoindre sous huit jours en juin 1806. Louis est heureux : « A peine avais-je posé le pied sur le sol de Hollandeje me suis senti Hollandais ». Hortense, qui appréhende de vivre loin des siens et près de son mari, considère cette « couronne, comme l’épreuve la plus cruelle de toute ». 

L’Empereur Napoléon Ier sur la terrasse de Saint-Cloud (Louis Ducis, 1810) - Napoléon entouré de ses nièces et neveux. Le bambin que l’Empereur tient sur ses genoux deviendra Napoléon III. En tunique blanche et ceinture bleue, Napoléon-Louis.

Comble de malheur, en mai 1807, le petit Charles-Napoléon est emporté en quelques jours par le croup. Dévastée, Hortense fuit la Hollande dont le climat humide et froid, estime-t-elle, a tué son enfant. Quand ils se retrouvent en août dans les Pyrénées, le drame semble avoir rapproché les époux, mais en septembre, le roi de Hollande retourne seul auprès de ses sujets.

Huit mois et une semaine après leur séjour à Toulouse, Hortense accouche d’un garçon, prénommé Charles Louis Napoléon par décision de l’Empereur (le Charles sera vite abandonné). L’enfant est si chétif que pour le maintenir en vie on doit « le baigner dans du vin et l’envelopper dans une serviette de coton ». Après calculs, les médecins concluent à une naissance prématurée, Louis à une infidélité. Il ne prend même pas la peine de quitter son palais d’Amsterdam. De quoi alimenter la rumeur et intriguer des générations d’historiens. 

La politique s’en mêle

En décembre 1809, Napoléon convoque sa famille à Paris pour annoncer son divorce. Louis n’a pas l’intention de rejoindre sa femme dans leur résidence de la rue Cerutti, et décide de s’installer chez sa mère, à l’hôtel de Brienne. Désapprouvant ce choix, l’Empereur prévient Hortense qu’il compte forcer son frère à demeurer avec elle mais, devant sa réaction, il renonce, sans manquer de lui faire la leçon : « Louis est bon. Il est vrai que personne ne peut vivre avec lui, mais c’est parce que votre douceur laisse prendre trop d’empire à ses défauts. Une honnête femme doit toujours mener son mari ».

Hortense de Beauharnais avec ses enfants, Napoléon-Louis et Louis-Napoléon.

Louis arrive rue Saint-Dominique avec une suite de vingt-quatre personnes et le mobilier de sa chambre à coucher. Dans ses Mémoires, Hortense racontera « Ce fut le premier acte ostensible de séparation qui instruisit le public de notre désunion. Ses enfants allaient régulièrement passer la journée chez lui. Le plus jeune, malade quelques jours, ne put sortir. Mon mari s’emporta vivement, dit hautement que je voulais le priver de la vue de cet enfant, et vint seul, le soir, pour se bien assurer qu’on ne le trompait pas et que son fils était réellement malade. »

Le 17 décembre, deux jours après le divorce impérial, Louis adresse une demande officielle à l’Empereur pour que le Conseil de famille approuve leur séparation et lui confie la garde de leur fils aîné. En vain. « Ce sont des enfants, répète plusieurs fois Napoléon, il faut qu’ils se raccommodent ». 

Un contentieux politique aggrave la tension entre les deux frères. Bien que placé sur le trône de Hollande pour servir les intérêts de l’Empereur, Louis tient à défendre son royaume, qu’il tente de préserver de la conscription et du Blocus continental. Il ne récolte que des conversations orageuses et bientôt Napoléon ne communique avec lui que par l’intermédiaire de Champagny, son ministre des Relations extérieures.

Sa défaveur connue, Louis reçoit peu de visites à l’hôtel de Brienne qui prend des airs de résidence surveillée quand Champagny lui fait savoir le 19 janvier que s’il quitte Paris, la Hollande sera annexée. Enfin, début avril, après le mariage de l’Empereur avec Marie-Louise d’Autriche, il est autorisé à rejoindre Amsterdam. Puisque l’Empereur n’a pas voulu consentir à leur séparation, il exige que sa femme l’accompagne et obtient gain de cause. Le supplice de la reine est de courte durée. Refusant toujours de plier aux ordres de Napoléon, Louis abdique le 1er juillet et se réfugie en Bohême. L’Empereur annexe la Hollande. Hortense est libre.

De 1810 à 1814, elle vit entre la rue Cerutti et son château de Saint-Leu, emmène souvent les enfants déjeuner aux Tuileries où, entre deux campagnes militaires, Napoléon se plaît à jouer le rôle de père. « Il les prend dans ses bras, les caresses et les taquine. Il leur barbouille la figure avec de la crème ou de la confiture et rit aux éclats comme s’il était de leur âge ». 

Bonaparte, sans aucun doute

Louis Bonaparte et son fils Napoléon-Louis.

A la chute de l’Empire, après une dernière tentative de rapprochement, Louis entame une procédure de séparation judiciaire et réclame à nouveau la garde de leur fils aîné. Les audiences du procès qui s’ouvre le 7 janvier 1815 sont publiques et tout Paris vient assister au déballage des petites histoires du couple. Le 8 mars, le tribunal tranche en faveur de Louis. 

Bientôt obligée de quitter la France, Hortense achète un petit château à Arenenberg sur la rive suisse du lac de Constance, qu’elle transforme en demeure à la mémoire de Napoléon. Elle élève Louis-Napoléon dans le culte de l’Empereur et lui donne des leçons d’intelligence politique : « A tout évènement, soyez prêt, jusqu’à ce vous puissiez vous-même préparer les évènements. Ne rebutez personne, sans vous donner absolument à personne. Surveillez toujours l’horizon. Soyez un peu partout, toujours prudent, toujours libres, et ne vous montrez qu’à l’heure opportune ». 

En 1818, Hortense veut passer une saison avec son fils aîné tandis que Louis souhaite revoir leur cadet. Les deux époux se retrouvent en Italie de juin à octobre, une habitude qu’ils conserveront jusqu’en 1830. Après avoir ignoré son existence, au fil de l’exil, Louis s’est rapproché de son fils. En 1853, dans Les Châtiments, Victor Hugo peut bien le qualifier « d’enfant du hasard, dont le nom est un vol, et la naissance un faux », Louis-Napoléon, neveu, par son père, et petit-fils, par sa mère, du Premier Empereur, lui, n’a jamais douté ni de son nom, ni de son destin.